• Emprisonner Céline au nom de Proust ?...

     

    A pamphlétaire et demi. La littérature sans idéal, de P. Vilain, plonge dans les eaux troubles de la littérature actuelle tout en volant au secours de la victoire contre l'antisémitisme. Mais à incendier l’œuvre parce que l'homme s'est perdu, ne risque-t-on pas de stigmatiser toute la littérature et de se tirer une balle dans le pied qu'on voulait mettre au cul de la fiction marchandisée ?...

     

     

    Emprisonner Céline au nom de Proust ?...

     

    Emprisonner Céline au nom de Proust ?...l s'appelle Philippe Vilain. Il voit la littérature sans idéal, aujourd'hui. Sa mission : la relever, la relancer, lui insuffler sa naïve témérité. Ce quasi-suicidaire fond sur la littérature officielle et taille à grands coups d'estoc le texte industriel produit par la Bête immonde. Il va même jusqu'à débusquer ce qui est à la source de la faillite puis du renoncement actuel.

    De bien belles phrases sur la grandeur embourbée perdue sur les étals, avec ce pamphlet paru, bien évidemment, chez un petit éditeur marginal Rien que de tout à fait normal que de voir cet auteur presque anonyme inquiet pour la vraie, la pure, la désintéressée littérature. Cet obscur essayiste auquel l'Université de Haute-Alsace a consacré une journée d’études de l'œuvre durant un colloque international. Ce penseur délaissé publié depuis vint ans par rien que des franc-tireurs libertaires de l'édition.

     

     

     

    Il faut quand même rendre à César et reconnaître qu'il tape souvent juste, avec une langue élégante aux tournures fines. Les démêles de la littérature avec le réalisme, les médias et le mercantilisme, il les dissèque tour à tour, sans cesser de défendre cette manière qui savait monter un portrait, modeler un tempérament, dessiner des caractères sans avoir peur d'utiliser le passé simple, voire le subjonctif pour illuminer les profondeurs de l’Âme Humaine.

    Il lui rend justice avec conviction, même, à la littérature. C'est cette même conviction qui lui fait remettre le couvert avec l'éternel roi de la table. Monsieur Madeleine et sa prose inégalée, inégalable, entendez-vous, et qu'on aurait tort d'aller chercher ailleurs ce qui est si actuel au XIXème. Monsieur Madeleine et ses descriptions si fines, si racées, si indépassables d'une frange dorée si distingués et de ses courtisan(e). Lui, le voit délaissé, à Monsieur Madeleine.

    Il suffit pourtant d'écouter une heure France-Culture, la radio de la culture, où n'importe quel critique à stylo ou micro, pour entendre évoquer, citer, admirer, brandir et regretter Monsieur Madeleine à longueur de temps. Mais sans doute l'universitaire Vilain n'écoute-t-il pas le babil médiatique. Il est, lui, avec Proust, il est le gardien du temple et de la flamme et de la boite d'allumettes.

     

     

     

    Il nous en rappelle la suprême valeur et nous invite nous incliner. Une fois le maître salué, nous pouvons admirer la finesse de son œuvre, sans toucher, sans parler fort, sans oublier de nous attarder devant ces figures aux tourments jamais tourmentés par de bêtes plats de pâtes en fin de mois. Dans les paysages grandioses que photographie Proust, les pauvres ont une heureuse qualité, la furtivité. Faut dire qu'ils leur donne au plus une profession – cocher, domestique... –, rarement de nom, ils finiraient par se bricoler une existence. Ils traversent les ciels proustiens comme la lune froide glisse au-dessus de nous. A peine décors, leurs vies ne sont pas assez notables pour intéresser les œuvres d'art que décortique l'oisif, le malade distingué qu'était Monsieur Madeleine.

    Monsieur Madeleine qu'il faut s'attacher à suivre encore et toujours, comme si la littérature n'était attachée également à une histoire, pour partie influencée, engagée dans une époque. Comme si le style s'enracinait seulement dans un monde d'idées et de classement divinement détaché du cours des hommes. Il y en eut pourtant qui s'y sont attachés à mettre de la littérature dans la sueur, les larmes, les petitesses et la grandeur de ceux qui se battent avec le réel, sans fortune pour les protéger.

    Céline. Ah, en voilà un qu'il faut retirer de sa tombe puante et recribler, rependre une bonne fois pour toutes. Car c'est bien lui qui a couvert les proustiens de postillons d'une prose qui rotait et pétait à table. Et c'est lui encore qu'on retrouve derrière tous les modernes débraillés du style. Et c'est évidemment lui qui a supervisé le formatage des textes aux dimensions des bacs marchands.

    Un peu gros, le procès du dynamiteur transformé en artisan de la soumission et de l'auto-dissolution, Monsieur Vilain. Et même très gros. L'essentiel, on le comprend bien, n'est pas seulement d'établir des repères, des filiations, mais surtout de cogner sur le responsable désigné.

     

     

     

    Il est vrai que Céline était devenu, dans la deuxième parti de sa vie, antisémite. Personne ne le nie plus et tant de gens le rappellent pour exclure sa littérature, pour l'empêcher de ci, le priver, le sortir des écoles, des bibliothèques et des têtes. Mais l'important ne se trouve pas dans ce pilori justement dressé contre l'homme Destouches. Le réel problème réside dans les conséquences potentielles de cette mise à mort recommencée d'une œuvre, dont on sent bien qu'elle est un moment fort, un moment qui vaudra sûrement à l'auteur un sauf-conduit définitif pour le pré-carré des largement autorisés à s'autoriser. Exécution dont je ne suis, accessoirement, pas sûr du tout que Marcel Proust aurait accepté de diriger le peloton.

     

     

     

    S'il en est de la littérature comme une marchandise suspecte qu'il faut examiner a priori, avec le portrait de l'auteur et de sa vie aux côtés des textes, faudra-t-il expurger le champ littéraire de ceux dont la vie ne correspond pas aux canons de la morale, de la justice et de la police ?

     

    L’œuvre de Céline nous peint des vies qui accèdent à l'universel en restant nos voisines de palier, des histoires qui nous déchirent au plus intime, des moments fatals qui touchent chacun de nous et accèdent à une vérité de la vie des réprouvés, des pas-de-chance ordinaires. Son style si singulier, si puissant, rend le bouillonnement de l'âme humaine comme celui d'une époque, quelques soient les idées de Destouches ou celles du lecteur. Peut-on faire l'impasse et poser sur ses pages, sur celles de Genet, sur celles de Villon, sur celles de Drieu la Rochelle, sur celle de Byron, ou autres hors-cadre l'imprimatur d'une police des caractères supposée supérieure à la liberté et à la force du texte ?...

     

    La critique libre d'une liberté majeure, celle de la fiction, ne mérite-t-elle pas au contraire d'être bien défendue en ces temps où l'on prostitue les mots et enchaîne la vie, d'autant si elle surgit grâce à des êtres réprouvés pour de bonnes raisons ?

     


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