e passé entoure le présent de grandes gerbes vénéneuses
c'est pour ça qu'on l'appelle le passé
tu n'en savais rien mon père tu n'en sais rien
d'ailleurs tu n'en sauras jamais rien
le passé qu'est-ce que tu en as à faire
juste le passé de tes cellules là-bas dans le grand cercueil
il est pas si grand ton cercueil
il est tout petit finalement
il a juste une grande place dans ma tête là-où
je voudrais ranger les ombres et les feuilles mortes
tout ce qui encombre ma mémoire
ma tête voudrait avancer mais
alors je repars vers le passé
je reviens vers d'autres et toi
sans cesse pourquoi je reviens vers toi
qui m'a oublié et pourquoi m'as-tu oublié
même pas connu à peine vu
des fois j'aimerais m'appeler Victor Hugo
écrire un poème bien carré
qui fait couler de belles larmes rondes sur mes joues
chaque fois que je l'entends
non je ne l'entends pas
j'avance à travers Victor Hugo
ma bouche fore son chemin
et ce qu'elle dit c'est
je vais bientôt foncer vers ta tombe
juste à quatre cent kilomètres de moi
j'enfoncerai mes mains jusqu'à ce que je bute sur toi
j'arracherai la grande boite de la terre
j'arracherai son couvercle
et j'arracherai ton cœur qui doit être bien vivant au fond
en tous cas bien vivant au fond de moi
et moi je ne peux pas l'arracher sinon
je m'arracherai moi-même de ma vie et ça ferait désordre
la belle langue nôtre forgée dans une magie multiplicatrice
quelque chose la pousse vers l'avant
cette chose s'appelle le triptyque
une des choses que j'aime chez elle
chez nous
avec lui elle peut marcher dans des espaces joyeux
même s'ils sont infiniment tristes
je marche dans la langue au lieu de marcher à tes côtés mon père
je n'ai jamais pu marcher à tes côtés d'ailleurs toi non plus
tu n'as même pas su faire le premier pas
tu m'as vu et tu t'es enfui
et alors je ne sais plus ce je voulais dire
à toi ou au vent qui passe sans m'attendre
dès le départ tu as fermé la porte
devant moi tu as rayé un monde
avec toutes les raisons du monde
trop mal fait pour que nous vivions
père et fils ensemble
je suis resté derrière la porte
et je te vois
je ne cesserai pas de te voir
sauf à certaines heures du matin ou du soir
où je flotte dans un monde accueillant
dans notre langue