i c'est bien un ciel, il recouvre toute la moitié supérieure de la toile. Une toile toute petite, presque une miniature. Le cadre est en bois sec, grisâtre comme du bois flotté, sans vernis, avec quelques trous de ver ou des créatures minuscules qui viennent hanter les bois échoués sur des berges lointaines. Au fond du bleu une touche de rouge, peut-être, un arrière-goût épais comme les sirops zéro calories. On pourrait dormir dans ce bleu. Il est dense, accueillant. Pas sûr qu'on en ressorte. Pour y accéder il faut peut-être passer une toute petite porte en haut dans le coin droit. Elle doit faire cinq centimètres de haut. C'est une porte de pierre qui ouvre sur du gris. Au-dessus, un linteau avec une inscription en latin, maculée et usée. Je lis juste « vedere », « voir », en français, si mes souvenirs de cette langue ne sont pas périmés. Le bleu n'a que faire de cette porte, il est électrique, infiniment délectable, vivant. Des tourbillons s'y meuvent, l'animent, le ballottent, si on s'approche assez près pour les voir.
Des tourbillons de lettres, de mots, dont je ne saisis pas le sens. Ni le sens de lecture, ni leur signification. Des lettres cyrilliques, me semble-t-il. Derrière la porte tout demeure gris. Un gris souris imbibé de lignes très fines comme des nuages effilochés. Dans le carré supérieur gauche se trouve une cloche, une cloche ancienne. Une cloche d'église. Cette cloche me rappelle quelque chose. Sans doute d'autres cloches aperçues au faîte d'églises visitées. J'aime bien visiter les églises. On peut y trouver une paix qui arrête les heures.
Ou sur des bandes dessinées figurant Pâques. De ces dessins un peu caricaturaux plein de cloches avec des ailes. Je ne sais toujours pas s'il faut passer par la porte grise. Pour voir, et quoi voir qui ne soit pas l'immense incertitude que propose cette toile ? Car il n'y a rien que le bleu, la porte et la cloche, mais ils se répondent entre les siècles.