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Alain Lasverne.

Alain Lasverne.

petits pas, obstinations diverses


Simon Templar dans le bouillon (suite)

Publié par alainLasverne sur 29 Juin 2020, 09:06am

 

Simon Templan dans le bouillon (suite)'ai croisé l'index et le majeur de deux mains, sous la table.

 

 

 

Mon machiavélique père s'est redressé dans toute sa splendeur, ses sourcils de bronze repliés vers le front, repliés sur son royal entêtement et le complot qu'il ourdissait peut-être. Il a frappé la table du plat de la main et l'univers a grondé. J'ai sursauté et la chienne a hurlé. Je lui avais cogné les côtés en repliant brusquement les jambes sous ma chaise.

 

Le monstre que j'aimais s'est tourné vers moi, les yeux étincelants d'une fureur aussi trouble que contenue. « Fais taire cette chienne, tu veux ?! ». J'ai plongé sous la table et donné une caresse à la pauvre bête sacrifiée.

 

Ma princesse en souffrance, s'est levée en défroissant d'une dextre outrée son tablier de cuisine et a sorti son mouchoir. Le blanc tissu, prélevé les semaines de quatre jeudis sur des moutons âgés de six mois, six jours et six heures, a retenu à peine les sanglots déchirants qui la secouaient. Elle a enfin essuyé son visage et ses yeux rougis m'ont frappé au cœur d'une atteinte imprévue aussi bien qu'exceptionnelle. J'ai réussi à jeter un œil à l'orage monstrueux sur ma droite. Dans sa main puissante tournait le sceptre réservé au sacrifice du poulet rôti. J'ai craint le pire, je dois le confesser, devrais-je en payer le prix. Mais la princesse a quitté sa chaise pour s'enfuir le cœur lourd. Je demeurais seul dans cet univers vidé de tout sens, abandonné par les lares, et autres puissances mineures mais sympathiques, qui auraient me téléporter, voire me transformer en chien.

 

 

 

Alors, j'ai vu le dieu-roi me jeter un regard indécis, presque implorant. Une once d'humanité venait tempérer cette statue de pierre violente et j'ai pris sur moi pour ne pas bondir, le serrer dans mes bras. Il ne savait rien du mauvais sort que Sinistra avait lancé sur le bouillon. Je l'ai compris tandis qu'il levait sa stature de géant lézardée par quelques fêlures presque invisibles sauf à quelques élus dotés de pouvoirs naissants. Je résistais avec peine à l'idée de lui proposer ma juvénile épaule pour soutien. Il franchit les quelques mètres qui le séparaient de la cuisine du pas pesant de Saturne, à moins que ce ne fut l'oracle qui vient révéler sa destinée à Toutankhamon, voire César après la guerre des Gaules.

 

J'écoutais quelques instants la langue aussi musicale qu'étrange des divinités voix réglant dans la cuisine la tragique énigme, et sans doute quelques différents recuits que je préférais méconnaître à cette heure tragique pour l'humanité. J'avais faim, tout d'un coup. Je saisi la louche et la plongeais dans le bouillon. Elle heurta quelque chose qui n'avait ni la mollesse du bouillon ni la consistance du chou. Je fouillais dans la soupière et en retirais un espèce de matière molle que j'identifiais d'un balayage oculaire à super-vitesse comme de la viande. Au goût, du porc, et même du saucisson. Je n'avais rien d'un cuisinier, mais je savais que la soupe au choux n'avait nullement le saucisson pour ingrédient. Dans la cuisine, les chuchotements énervés s'enflaient, s'entrechoquaient.

 

 

 

Il n'y a que deux cachettes possibles pour un saucisson astucieux dans notre maison. Le garde-manger, à la cuisine, étant la première. Les étagères lui assurent quelques heures de survie avant que ma fringale perpétuelle ne s'abatte sur lui.

 

L'autre n'en est pas vraiment une. Le saucisson y est assuré de passer quelques semaines tranquilles. Je ne peux y toucher sous peine d'excommunication, voire des écrouelles. Benoîtement, le saucisson pend au plafond, accroché par une ficelle à un manche balai que mon père a fixé.

 

Mon père qui ne manque jamais de rappeler aux invités qu'il lui suffit de lever une main et de donner un bon coup de couteau à une la dite ficelle pour récupérer un saucisson pur porc, sans aucun label, sans aucune étiquette et sans prix car fait maison.

 

Ce qui suppose d'attendre quelques semaines, de laisser mûrir la pièce de viande tendre dans son sac de peau. Elle se tasse, prend son odeur et son goût définitif, pour peu que le nœud liant la peau et la ficelle ait été fait dans les règles de l'art.

 

Je brandis l'objet du délit encore mouillé par le bouillon et en appelai timidement à l’Olympe pour expliquer le mystère. Simon Templar pouvait aller se rhabiller.

 

 

 

 

 

* Fadorle : quelqu'un d'un peu fou (de l'occitan fadòrla) ; lexique du sud-ouest de la France.

 

 

 

 

 


 

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