petits pas, obstinations diverses
u 31/12/2012 émettent en France 859 radios, dont 7 publiques et 852 privées (600 associatives détenant un tiers des fréquences analogiques allouées au secteur privé ). Selon Médiamétrie, 93% des personnes âgées de 13 ans et plus écoutent la radio 15,9 jours sur 21 jours, quelle que soit la durée de cette écoute.
La radio c'est vraiment le média populaire, celui qui vous parle à l'oreille, la voix pour tout le monde. Mais peut-être pas de tout le monde.
Le service public radiophonique, numériquement faible, garde pourtant tient pourtant la dragée haute aux hordes commerciales. En termes de son et de qualité de programmes il est aussi devant la plupart du temps, pour l'auditeur. Le bon sens commanderait qu'il investisse dans ces deux piliers. A l'inverse, il choisit la privation, aujourd'hui. Des personnels et des émissions vont disparaître, ses atouts s'en trouveront fatalement amoindris. On va de l'avant en enclenchant la marche arrière.
Pas forcément étonnant si on observe les défauts structurels du média radio.
La voix de nulle part
Sur France Bleu Auvergne, France Culture, France Bleu Pays Basque, RFI ou France Inter, c'est la même voix qu'on entend. Elle a une origine, cette voix. En gros, quelque part au nord d'Orléans. Toute la France tient dans cet accent qu'utilisent, sinon possèdent, l'immense majorité des animateurs, présentateurs, et invités. C'est le choix des radios. On le retrouve même dans les stations tout à fait locales, qui veulent exprimer le « terroir », « l'identité ».
La langue est un paysage et l'accent celui qui arpente ses terrains divers, ses singulières déclinaisons d'un même univers national et international. L'accent, c'est la porte ouverte sur la culture des gens réels. Le ton aseptisé d'un radio locale ou nationale, c'est le tunnel d'entrée pour l'auditeur. Avec l'auditeur, on débouche fatalement sur la statistique et l'audience. Dépouillée de son accent la personne parlant dans le micro devient une fonction ; la personne écoutant, une unité de Médiamétrie.
La plupart des radios revendique un ancrage local, exprimé dans leur nom, leur ligne éditoriale. Ce qui ne les empêche pas de s'exprimer avec cette langue alien(ée) pour en faire des progammes qui ressemblent à tous les autres, à rien.
Couper sa langue à la racine, couper la racine sonore, c'est couper tout ce qui va avec. Il faudra l'accent pour dire juste. Dire juste, c'est se prononcer soi. Dire juste, c'est aussi jouer avec le patois qui est appendice de la langue, une appendice active qui féconde et inversement. Revendiquer, utiliser sa langue dans toutes ses indissociables dimensions, c'est être chez soi.
Un média qui n'écoute pas
Leur modèle de diffusion sonore en vigueur est impositif. La radio dit et nous écoutons la voix qui dit. On pourrait – et d'ailleurs c'est le cas – penser que la voix tombe du ciel comme le fait pour les croyants la voix de Dieu, Mahomet ou autre divin maître.
Le modèle impositif définit deux choses. Une fonction : écouter. Nous sommes dans le paradigme du silence, de l'attention, de la prise en compte. Corrélativement, on en vient au registre maître-élève, supérieur-subordonné, gourou-adepte.
Une attitude : effacement. La conscience de milliers, millions d'auditeurs est infiltrée par la modulation du média qui ne tient aucun compte des corps, des têtes, de la vibration de chacun à laquelle tout autre vivant réagit. Celui qui parle dans le micro adopte une tonalité légèrement monocorde - l'effort qu'il/elle fait pour parler de manière plus convaincante renforce, au contraire, ce sentiment d'une parole tombant dans un vide toujours renouvelé – et dépourvu d'interlocuteur réel. Nous nous enfonçons dans l'anonymat, la radio parle pour nous, mais pas à nous.
La radio est une parole d'essence autoritaire. Elle emprunte d’emblée les deux éléments constitutifs du pouvoir.
Le pouvoir refuse toute réponse.
Par sa nature d'unicité s'adressant à la pluralité, la radio ne saurait tendre vers le but ultime de la parole, l'échange. L'inter-activité, - comprise comme une parole autre que celle de la radio entrant dans le poste pour devenir radio et en même temps désagréger sa nature - n'est pas possible en l'état des choses. La radio repose sur la maîtrise autonome. Maîtrise du temps de la parole, maîtrise des locuteurs. Lequel contrôle résulte de contraintes fonctionnelles et financières. Les émissions s’intègrent dans un ensemble de travail. Chacun a sa place, son salaire et sa tâche. Les bâtiments, comme les appareils ont des usages définis. L'irruption de personnes dans cette structure bouleverse tout cela, crée de l'aléatoire qui risque de mettre en péril la machine. Sans parler de qui doit pouvoir parler dans un micro. La chaîne des autorisations peut facilement faire alliance avec le cercle des habitudes et des conforts du personnel.
Abandonner le micro à une parole plurielle, c'est perdre du temps, de l'argent, du fonctionnement huilé, « professionnel ». C'est avant tout abandonner le centre, la référence, laisser place à la durée, aux imprévisibles paroles et événements.
Le pouvoir s'incarne dans une distance réelle et symbolique.
La distance réside dans l'artificialité de la voix qui impose l'écoute, l'enregistrement à tous les sens du terme. Elle réside surtout dans une distance physique qui impressionne et décourage. On ne peut pénétrer facilement dans les locaux d'une radio et il est interdit d'investir les salles "on air", où le discours sonore est déversé.
Ainsi fonctionne le pouvoir monarchique matérialisé par une distance entre le souverain et ses sujets, définie en longueur – impossible de s'approprier le souverain – et en hauteur – impossible de défier le souverain.
Si réponses à l'uniformité et l’imposition asphyxiantes il y a, elles ne sont que des ersatz, de toute façon. On abandonne 10mn de répondeur à qui répondra comment et là où on lui dit de faire. Pas question de s'écarter du sujet que développa la veille l'émission, pas question de faire plus d'une minute, pas question de ne pas remercier. Pas question d'être, mais d'applaudir.
Si rebellions, ripostes au pouvoir il y a, elles n'entravent en rien le son qui continue à tenir les rênes des auditeurs et à déverser ses prescriptions. Elles sont confinées dans leur isolement. Elles n'auront pas droit au micro, ou prestement coupées. L'auditeur lambda n'en saura rien. Il continue à prendre des notes dans sa tête, se conformant ainsi non seulement au message mais à la voix de l'animateur. Il devient, émission après émission, ce français de nulle part vêtu d'une langue de nulle part véhiculant des intérêts qui ne reflètent rien de ce qu'il est lui, mais les intérêts de la radio. Perdant son identité pour n'en pas gagner d'autre, il ressemble et ressent comme M.tout-le-monde, prêt à accueillir avec empressement les goûts et les idées de la masse.
Au pire, la radio invite quelques sujets à un strapontin dans l'eutopia sonore. Sélection féroce à l'entrée. Les professionnels du micro veulent du peuple transparent, soumis et bref. On parle du sujet, on ne critique pas, on ne peut le faire qu'une fois. Une minute. Terminé. L'exercice est tellement loin de la liberté de parole, de l'autonomie de la personne, que la plupart des gens n'appellent pas car il n'est pas naturel de prononcer des mots codifiés et limités dans une machine qui les envoie sans retour à des milliers de personnes.
La radio conviviale
On a eut l'expérience des radios pirates et des radios libres. Fortement imitatrice du modèle des radios qu'elles combattaient.
On en perçoit le halo de la radio de l'impouvoir sur quelques ondes associatives. Mais même sur ces ondes qui se veulent contre, ou ailleurs, par rapport au modèle dominant, on demeure peu ou prou dans le paradigme hiérarchique du « professionnel », du message, du temps imparti et de la compétence d'expression.
L'échange radiophonique véritable a partie intimement lié avec l'intemporalité et la gratuité.La radio de l'échange pour tous reste à inventer. Un défi d'autant plus crucial et difficile que la nature monarchique des radios actuelles est parfaitement en phase avec le consumérisme moderne basé sur la sublimation* et des injonctions aussi permanentes que paradoxales** qu'il nous envoie.
* Sublimation : investissement dans des objets et des êtres socialement valorisés
** Injonction paradoxale, ou double contrainte : elle exprime deux contraintes qui s'opposent : l'obligation de chacune contenant une interdiction de l'autre, ce qui rend la situation a priori insoluble. Exemple : Soyez vous-même avec Mennen (Nike, Reebook...) » invite à la liberté, sauf celle de ne pas acheter Mennen...