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petits pas, obstinations diverses

Moi lapin toi labo, moi bolas toi la fin

Moi lapin toi labo, moi bolas toi la fin

 

Moi lapin, toi labo, moi bolas, toi la finans son roman Identification des schémas*, William Gibson fait évoluer un personnage atteint (doté) d'une hyper-sensibilité publicitaire. Postulat métastasique : la fiction d'aujourd'hui est la réalité de demain.

 

Depuis l'ère des réclames, la publicité n'a cessé de se multiplier et de se diversifier. Ceux qui sont nés, comme moi, avant les années 60, pourraient être ses enfants si la parenté publicitaire acceptait ceux qui détestent leurs ascendants. Mais la Folcoche** ne peut identifier ce schéma-là. Elle continue à peindre en couleurs criardes d'immenses territoires dans notre réalité  et nous y cantonne sans cesse.
Je l’aperçois partout, cette mère indigne. Affiches incongrues plantées sur les routes et collées aux façades, qui nous exhibe un monde tout en en chair saturées, désirs fabriqués. Revues, où elle ponctue salement chaque article, chaque profession de foi vertueuse. Flyers et empilages de logos inondant nos boites aux lettres de centaines de kilos de papier, années après années. Je perçois sa volonté jamais rassasiée, son appétit sans limite. Prêcheuse du Marché, indifféremment vêtue en crème glacée, marteau-piqueur, élu municipal à réélire, plaque funéraire ou condom, médecins du monde ou presse dopée au plan médias.
J'appréhende sa présence sur la moindre placette, le plus petit carrefour. Je sais qu'elle se plantera sur le plus simple panorama. Je zappe entre ses fondrières d'une page à l'autre, d'une chaîne à l'autre, d'un propos à l'autre.
Je suis en mouvement perpétuel pour éviter ses évidences, ses platitudes et ses lourdeurs récurrentes. Je sais qu'elle manœuvre, à peine dissimulée dans ces événements qu'on m'assène, quelque soit la saison où ce que me dit l'étroite fenêtre ouvrant encore sur le réel. Son vrai nom est persuasion.
Moi lapin, toi labo. Dans les pauses et les relances des discours ineptes et redondants, je détecte son appel à saluer, à s'incliner, à emporter avec soi celui ou celle et ce qu'elle désigne.

 

 

Pub, tu es milieu de la scène et je ne suis qu'un périphérique toujours en mouvement. Tu est le point nodal de ce monde, sans doute. Je vois des gens, j'ai peur de croiser tes créatures. Je renifle l'air, inspecte leur moindre mot, scrute leur plus petit geste. Je les pressens ces simulations, et je les expulse de ma ferveur.
Ils ne me trompent plus guère, mais je sais que la guerre se prolonge. Tu entres en chaque chose, en chaque être. Ton essence vampirique est en perpétuelle involution. Tu ne laisses rien à la place. Ils sont indéfectiblement vidés. C'est peut-être l'odeur lumineuse de ce vide autour d'eux qui m'alerte à chaque fois.
Choses et chairs, ils ont appris à être toi. Tu leur a dit «écoutez-moi et vous serez désirés ». Ils ont écouté, ils se sont perdus dans ta voix. Ils ne peuvent rien, maintenant. Ils ne peuvent plus rien t'opposer, leur lassitude même est affectée.


Tu as colonisé les objets, les êtres et leur langage.
Je sens que mes perceptions même, mes espoirs, ma conscience d'exister sont en passe d'être corrompues. Je ne sais plus que lutter pour une singularité dont je ne saurais définir les contours. Je sais juste ce que je ne veux pas. Je ne veux pas écouter ces voix qui ne parlent pas mais entendent être écoutées.
Je ne veux pas acheter, je ne veux pas devenir, je ne veux pas apprendre, je ne veux pas adhérer, je ne veux pas ambitionner, je ne veux pas croire, ni penser, ni avoir, ni choisir, je ne veux pas désirer, je ne veux pas comprendre. Je ne veux pas en être.

 

 

Au fond de ma tête, quelque chose est rétif, de plus en plus rétif. Je vais me peler, couche par couche, jusqu'à n'y ait plus que du rétif. Je vais te débusquer de plus en plus rapidement. Je vais remonter tes voix jusqu'à ma source. Je vais me remonter dans le bon sens, qui ne sera pas bon ni bien. Je décrasse mon monde et je n'ai pas peur de me salir les mains.
Je vais défaire ta planète avec tout l'amour que j'ai et toute la haine qu'il faut, parce qu'il faut t'arracher de là toi et tes multiples, tes créatures et tes valets.


Je goûte chaque seconde de vérité, au plus près de chez moi. Avec mes mots je commence par salir tes cathédrales académiques ronflantes. Ainsi je les nettoie, ainsi je leur apprends comment pénétrer, désorganiser, contre-faire, dé-construire, nous faire une raison poétique de ce monde qui est à nous, même pas contre vous.

 

 

* Identification des schémas – William Gibson – Ed. Au diable vauvert – 2004 (pour la traduction française)

** Le héros nomme ainsi sa mère détestée, dans le roman d'Hervé Bazin Vipère au poing (1948)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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