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petits pas, obstinations diverses

L'éternité juste avant la fin

 

e n'aurai pas dû ré-écouter Françoise Hardy et ses mélodies sophistiquées à force de simplicité. Me voilà mesurant l’abîme qui se creuse. Quelque part, quelqu'un a donné un coup d'accélérateur. Le passé vieillit à toute vitesse. Les Hardy, les Chats Sauvages, les babas, les glams, les guitares sursaturées se faufilent dans les bras morts du temps. Très peu de chose surnagent dans ce tunnel où je cours si vite, toujours plus vite. Les repères se brouillent, les idoles s'effondrent, disparaissent. Je ne sais plus vraiment qui est qui, ni quelle hauteur il ou elle avait atteint dans mon panthéon. Des noms glissent en lettres rongées devant mon œil intérieur. Manset, Dylan, Hakwind, Doors, Christophe, Little Bob, Catherine Ribeiro. Plus tard ou bien avant, en même temps peut-être, Magma, Beranger, Miles, Triangle. Tout ça est déjà loin au fond du cimetière des éléphants, et voilà qu'un rétroviseur spécial les floute, les repousse. Mon passé fout le camp à vitesse-lumière. Spock, un coup de main, s'il vous plaît. Spock, d'ailleurs, quel rapport avec Superman ? Superman, avant Games of Thrones, hein ?..

 

La vieillesse est décidément une mise de fond tout à fait perdue. Voilà ce que je me dis devant cette brume qui s'installe avec une atroce douceur. Enfin, pas tout à fait. Je ne me rendrai pas sans combattre. Je vois et je sais qu'il y a une vague qui dépasse ma petite personne. Un phénomène de société. Les idoles, les stars, les icônes et les lucioles passent de plus en vite, comme ces images accélérées de la trajectoire du soleil, au cours d'une journée, ou les événements socio-politiques chargeant la barque actualité à ras-bord, de plus en plus lourdement, pour disparaître du cours de la vie et des mémoires à une telle vitesse qu'on ne s'en aperçoit pas.

 

Le passé semble mourir à peine entériné comme passé, à peine sorti du présent. Il n'a pas le temps de mûrir, de devenir un passé reconnaissable, sur lequel on pourrait méditer, s'appuyer. Il s'efface d'un coup, rayé des rayons de la mémoire à court terme, seule à avoir encore le temps de lui faire une éphémère place. Les événements et les figures imitent les marques. Implantation-acmé-disparition, implantationacmedisparition, implantationacme, implantation.

 

La course laisse ce qu'on appelait encore passé il n'y a pas si longtemps, loin derrière, pour rattraper un présent qui perd sa consistance, n'ayant plus d'antériorité fondatrice à l'aune de laquelle il pourrait se comparer, avantageusement ou pas. Nous voilà porteur d'un présent sans valeur, sans repères, sans épaisseur, que nous ne pouvons plus considérer et encore moins évaluer. Face à cette perte, nous fuyons vers le seul endroit que l'esprit peut encore investir, examiner : le futur.

 

Futur également menacé dans sa nature même, si le présent se vide et menace de l'engloutir. Comment demeurera-t-il cette utopia des rêves et des prédictions s'il perd sa distance chronologique, s'il est annexé par nos esprits avides d'avoir du temps, au moins un temps sur lequel s'appuyer ? Il disparaît, ce futur, à son tour, Qui ose encore imaginer, incarner des univers dont la qualité singulière attesterait qu'ils se situent bien dans un temps qui n'est pas nôtre ? Où sont les Thomas Moore et les Toeffler ? Fini les plans sur la comète, fini le saut sur un monde inconnu dont l'éloignement temporel s'appuie surtout sur le désir d'envol vers l'ailleurs. Fini le futur, vive les plans, les projections, les tendances. Même pas, le commissariat au Plan – dont Henri Guaino fut le dernier commissaire - n'existe plus depuis longtemps. Les voyantes précisent maintenant qu'elles osent encore prédire, mais sans donner de date, ce qui sape la crédibilité et surtout ôte la séduction d'un futur incroyable et pourtant daté.

 

Ne reste plus que des anti-futurs, des dystopies disent les écrivains de SF. Autant dire des futurs moribonds qui signent avec constance et imagination que le futur, la germination certaine, puissante de l'humanité est terminée. La futur n'aura pas lieu.

 

La bonbonne temps a fui. Notre bulle est vide. Nous demeurons dans un abandon sidéral, et même sidérant. Quelque part, nous avons gagné une éternité. Notre a-temporalité est sous le signe de l'immanence. Nous sommes devenus des êtres qui n'ont que faire du temps. Des divinités pourtant amères. Ce temps perdu, nous aimerions le rattraper, remettre des saisons à nos vies comme à notre environnement, retrouver un passé, profiter du présent sans se précipiter vers le futur avant qu'il ne soit assez loin pour susciter nos rêves. Ne nous reste plus qu'à détailler jusqu'au morbide notre fin annoncée, déjà là évidemment.

 

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