Contrairement aux époques antérieures, la nôtre est baignée, saturée de discours. Le véhicule qui duplique, modifie et transporte tout cela : les médias. Certains propos se voient hissés sur l’Olympe nouveau. Privilège de la gloire actuelle, - plus couramment appelée célébrité, buzz... - ils voyagent de bouche en bouche. On dirait bien, finalement, qu'ils reflètent l'esprit de l'époque. Jusqu'à la phagocyter en devenant des réflexes, des raccourcis que chacun utilise pour définir, caractériser des personnes, des structures et des idées. Du multiple et du complexe, on passe à l'évident, le parfaitement utilisable n'importe où, n'importe quand, par n'importe qui. Ces discours, ces expressions atteignent alors presque le statut de personnes autonomes. Tout le monde leur accorde une substance et une singularité.
On pourrait les interroger, ces mots incarnés, chercher leur vérité cachée. D'ailleurs, c'est ce qu'on fait. Interview « portrait chinois » de soignant.
M. Soignant, si vous étiez une fleur ?...
La rose, évidemment. Rouge profond. Sa beauté m'importe peu, mais ses épines beaucoup. L'épine pique. Qui est piqué saigne. Et le sang, voilà ma matière, mon espace de travail.
Si vous étiez une couleur ?...
Le bleu, sans conteste. Vous pensez à la blouse que j'utilise, hein...D'abord, ma blouse est blanche, ensuite, je ne pensais pas du tout à ça. Le bleu incarnen notre croyance, plus précisément le bleu de nos croix marquant les véhicules. D'ailleurs, on dit bien, chez nous, « Qui voit la croix bleu est un homme chanceux ». J'ajouterais, ponctuellement, les traces bleuâtres sur mon corps, souvenirs récents de rencontres avec avec les forces de l'ordre.
Si vous étiez une musique ?
Je dirais bien une marche, mais ce serait un euphémisme pauvret. Je suis toujours à courir et jamais ne m'accueille un sourire sans souci à la clé. A dire vrai, je crois que c'est la techno qui me représente assez bien.
Il suffit d'entendre l'obsédante figure rythmique des pompiers pour tomber en transe aussi immédiate que répétitive. Celle qui m'attend à toute heure.
Si vous étiez un animal ?
Sans hésitation, le rat, particulièrement souris de labo. On lui plante des électrodes pour induire telle ou telle réaction, avant de l'exposer à des maladies mortelles de préférence inconnues. Et on attend tranquillement qu'elle saute les obstacles sans faiblir.
M. Soignant, sur ces mots s'en va. Quelques bouches l'appellent, je le sens bien. Il doit servir, même ceux qui se servent de lui.
Réponse texte du jour 20 :
De ça je me console (p. 62 et 63) – Lola Lafon – 2007 Ed Flammarion (republié par Actes Sud-Babel) |