Ferdinand de Saussure avait découvert trente-six mille mots à double sens. Il s'est arrêté juste avant de devenir fou devant cette langue fondrière, sans avoir achevé sa cartographie. Et sans avoir repéré non pas les doubles, mais les ombres parentales de chaque mot. Les ascendants sur lesquels sont plantés les mots apparents.
Certains mots reviennent dans la langue commune avec régularité. Les mots du jour, à moins que ce ne soit les mots de l'époque. Relancés par les esprits moutonniers, sans doute. Mais il faut plutôt deviner la poussée souterraine des mots cachés. Leurs champions ont une chance de gagner, devenir de verbaliser leur époque, de s'installer dans les bouches.
- discipliné : adj ; soutenu par disciple et inné. Sans le savoir, sans vouloir le savoir, beaucoup en appellent à la reproduction. Qu'il est doux pour les pieds de se poser dans les pas de qui ouvre le chemin. Qu'il est tranquille pour l'esprit de ne pas avoir à ordonner la matière inerte du monde. Ceux-là, une majorité, ne s'écartent pas des chemins à suivre, des horizons à voir. Ils sont calés sur la file de droite de l'autoroute et saluent les radars au passage.
Leur disposition naturelle les pousse à être comme. Explication facile pour autoroute médiatique. En réalité, le naturel est plutôt fantasque, sauvage et contradictoire dans notre moi essentiellement singulier. Il faut toute la force du trait gravé dans nos têtes par ceux qui nous conduisent, nous tiennent la main, rangent nos casiers, pour que nous suivions. Et nombreux sont les ratés, les défauts de gravures qu'on écarte où qu'on isole.
- covid : sigle ; sigle maintenant nominalisé, bâti sur vide et co, préfixe pressé de s'abstraire du co-mmun. Commun qui ne veut que s'adosser à à l'esprit du temps, le Marché. Lequel apparaît, immédiat et évident, dans co comme compagnie.
La substance du Vide dort, habituellement. Elle exhale l'attente, le lien inquiet avec les siens.
Alors covide, comment mieux former un attelage des singuliers ensemble, tous ensemble, déboussolés, dépourvus du sens même de leur attelage au sein d'autres attelages, à perte de vue. Minés par le vide qui les étire, les disjoints, ce vide qu'ils ont trop laissé se creuser. Une maladie qui frappe les corps, mine les esprits. Covides nous sommes. Notre conscience s'est perdue.
Montaigne écrivait « Il faut s'habituer à l'idée de la mort ». Il faut repasser par le doute et la faiblesse, et la mort. Recharger notre humanité. Ça ne se produira pas sui generis. Exhortations vaines. Les fausses lumières, les aubes trafiquées, les pinceaux éclairants qui surveillent, nous figent et nous brûleront de plus en plus fort, jusqu'à approcher le cœur. La douleur deviendra générale, insupportable. Alors, nous nous retrouverons en nous-mêmes, briserons les simulacres et leurs fabricants. La nuit tombera, si nouvelle pour nous, si ancienne en ce monde. Nuit utérine au sein de laquelle nous reviendrons à nous, pour renaître.
Un p'tit pour la route, un dernier.
- santé : nom ; les deux piliers qui l'assoient dans le lexique actuel sont sang et tais, impératif du verbe taire.
Et qui ne voit pas le retournement qu'a subi ces temps derniers la santé, s'exponentialisant en Santé. Elle qui promettait le bien-être au bout des congés payés, de la Sécu à nos chevets, du médecin de famille, la voilà qui a pris un haut-parleur, une pose et une règle à calcul. La voilà qui hausse le ton et les curseurs, la voilà qui prend horrible figure et crie qu'il faut payer le prix du sang. Si t'as envie de vivre, tu tais, tu te tais.