• Monologue à plusieurs - Saison 1

    Ça vous regarde incarne à la télé le débat public, avec C dans l'air. Mais jusqu'à quel point est-il public, ce débat, au sens de fait par et pour l'agora ?...Vue transversale sur une émission où la parole ne fait pas obligatoirement débat ni ne s'utilise forcément à armes égales.

     

     

     

     

    ur le créneau du débat public télé, un poids lourd « Ça vous regarde ». Format une heure, partagé par« C dans l'air » autre vitrine du débat télé. Rediffusée une fois par jour. Le site LCP, chaîne réservée à nos amis sénateurs, présente les vidéos des émissions successives avec pour titre « tous les épisodes ». En route donc vers une sorte de série fictionnelle. Quelques esprits chagrins pourraient voir là-dedans une machine à infotainment.

    Arnaud Ardoin, présentateur de son état, rassure son monde. « Ça vous regarde développe le débat en mode interactif pour faire entendre la voix des citoyens via les webcams et twitter ». Rassure un instant. Les vigies « citoyennes » n’interviennent qu'au maximum cinq minutes par émission. Quant aux tweets, Ardouin en lit deux ou trois sur une heure, en vague intro aux questions qu'il déroule à sa manière, pas forcément fidèle à l'esprit des tweets sélectionnés.

     

    Si l'on considère de Gauche, le groupe, la vision du monde qui est du côté critique du Capital, qui ne pratique ni ne cautionne une politique néo-libérale imposée par un autoritarisme fascisant, on constate que Ardoin - sur 20 émissions prises au hasard dans la période récente, proposant 79 intervenants - a invité 16 personnes classées ou classable à Gauche. Si l'on retient seulement les hommes politiques, on tombe à 5, contre 18 PS et 17 LR, 1 UDI et 3 FN si j'ai bien compté. En additionnant les collègues du monde de l'économie capitaliste, appelée aujourd'hui Marché, qu'ils partagent – PS, LR, UDI et les 3 FN – on obtient 5 politiques de Gauche contre 39 politiques de Marché.

    Aucun invité d'extrême-gauche. Jamais de citoyens en plateau – idem pour les autres « débats » - à l'exception des fantomatiques « » dans leurs bulles. Peu d'élus locaux.

     

    La différence numérique flagrante entre invités représentant les pôles structurant la vie politique française profite non seulement à la droite, mais au-delà à une vision du monde de droite, et/ou « apolitique », la plupart du temps acquise au Marché.
    Ce mode de fonctionnement profondément inégalitaire correspond sans doute au principe du pluralisme vanté par le CSA de O. Schrameck. Doctrine bien socialiste qui ne recherche pas une information objective, une confrontation égalitaire à la base de thèses et de discours différents, sinon opposés mais une « information politique diversifiée », une info invertébrée qui permet tous les abus possibles.

    Alliances allègres de la carpe et du lapin. Ce qui évite de s'appuyer sur le réel. Lequel réel est l'adhésion politique du peuple français autour de la Droite et de la Gauche. Bi-partition qui alimente des oppositions fondamentales, historiques. Patrons-salariés, liberté-sécurité, propriété privée-propriété publique...Binôme qui se décline dans toutes les sphères de la société parce qu'il repose sur de puissantes, incontournables réalités. Dont le rejet, ou l'occultation provoque en grande partie l'abstention. Situation de péril démocratique que ne veulent pas reconnaître les politiques d'aujourd'hui pour ce qu'elle est. Le résultat d'un bi-partisme totalement aux couleurs du Marché, monocolore, donc.

    Ardoin le journaliste, reproduit cette démission générale, cette débâcle, en sacrifiant l'objectivité au profit du pluralisme qui n'est qu'un faux-nez du discours omniprésent, de la « pensée unique » pour reprendre un slogan qui n'eut pas de conséquences. Il conforte ainsi, légitime et accentue la puissance et le propos de ce camp omniprésent, augmente son audience chaque jour qui passe.

     

    Les membres étant tous dans la même fratrie, ou presque, on n'a pas d'opposition d'idées, de discours véritables, sauf à la marge. On ne débat pas, chez Ardoin, on détaille des opinions dans un même univers de références conceptuelles bornées à une vision du réel de droite – voire d'extrême droite quand sont en plateau certains spécialistes de la « sécurité », du « terrorisme », du « maintien de l'ordre »...-.
    Les discours renvoient à un monde qui n'est que rarement celui du peuple. Jamais ne s'expose, encore moins se dénonce la confrontation permanente avec le Marché que vivent les gens de la rue, dans leur travail, leurs problèmes de santé, l'éducation de leurs enfants, la préservation de leur environnement si dégradé dans les zones « sensibles », dans la cohabitation obligée avec des services prétendûment publics qui n'avancent aujourd'hui qu'en mode marchand, quand ils ne se mettent directement sous la coupe d'entreprises de profit par des maquignonnages comme les PPP.

     

    Ainsi, avec la bénédiction de ces institutions d'organisation et de légitimation de la propagande que sont le CSA et d'autres (Conseil Constitutionnel) Ardoin et ses invités nous présentent comme réel, convoquent un réel qui n'est pas celui de la grande majorité des français, toujours structurée légitimement par une vision du monde droite/gauche, riches/pauvres,etc, pour la bonne et simple raison que le capitalisme qui a généralisé le salariat, l'exploitation et prorogé, accentué la domination de la propriété privée des riches, malgré la fin de l'Ancien Régime, le capitalisme est toujours présent. 

    Ça vous regarde est essentiellement construction d'un monde fictif, par épisodes, où la liberté de porter le fer dans la plaie n'a jamais droit de cité, puisque le journalisme repose normalement sur l'objectivité du propos portés par un nombre d'orateurs équivalents pour une parole égale en audience.

     

    La critique du caractère hors-sol de cet objet parlant qui ressemble à un débat public mais appartient à la catégorie du monologue, ne devrait guère gêner Arnaud Ardoin, membre du Cercle K2, un think-tank bien sous tous rapports, économiques de préférence.

    Cette petite entreprise qui connaît peu la crise, produits de l'influence et du buzz avec enthousiasme et sans complexe, si l'on se réfère à son site. Créneaux porteurs qui devraient avoir l’œil du patronat et sa bourse prête à supporter cette jeune initiative. Car elle est vouée à donner des armes stratégiques aux PME et Tpe, dans la bataille économique pour « conquérir et conserver des marchés au niveau national et international ». On est un peu loin de l'ambition classique du serviteur de l'info publique, de ses servitudes ou des garde-fous journalistiques, mais gage est donné à la noria néo-libérale qui peuple Ça vous regarde. Arnaud Ardoin connaît et endosse sans faillir le dress-code de base qui fait les carrières réussies avec médailles à la clé.

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2016 à 11:08

    Merci pour le partage!

    2
    Mardi 2 Août 2016 à 11:09

    Merci pour le partage!

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