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Insertitudes
On dirait qu'il y a du vide. Certains ne sauront pas de quoi il est question. Je dis pourtant qu'il semble se creuser quelque chose rempli de rien dans la littérature. Un vide qui angoisse, Porté par une déperdition plus générale, ou profiteur localisé de l'état d'usure de la littérature, pour ce que j'en sais. Je n'affirme pas, je ne prétends rien. Certains bâtissent des univers, tirent des avenirs, modèle le Phénix nouveau. Moi j'en suis à dire que ça fait drôle, pas vraiment mal, mais le vide est troublant.
n saute hors époque, on relit les anciens, comme s'ils pouvaient supprimer la douleur du présent.
J'apprécie la manière de l'ancien français, j'en suis lecteur à peine occasionnel, mais. C'est comme le théâtre, je n'y vais pas spontanément, mais chaque fois j'en ressors scotché.
Je l'avais redécouvert, l'ancien françois, dans une forme travaillée pour contemporains, qui ressuscitait une époque et en même temps faisait un clin d’œil au présent, comme les westerns. L'avantage des uns comme des autres étant qu'ils ne nous rappellent pas tant les valeurs qu'ils portaient que les certitudes que nous avions, et avons perdu. Pour rendre à César, je dois dire que je pense notamment à la fiction de Céline Minard, Bastard Battle, exercice de style difficile, sans prétention et de qualité, à l'époque où elle n'était pas entrée en zone de visibilité.
Époque sanguine que ce moyen-âge. Le temps a nettoyé le sang mais d'infimes traces subsistent, ne serait-ce que cette capacité à creuser la perte que nous éprouvons. Nous, ou peut-être moi tout seul, je ne sais pas vraiment et je ne m'en préoccupe que peu, pour dire. Homme parmi les hommes.
Quoiqu'il en soit, le vide. A travers les mots anciens ou nouveaux, le cœur cherche des émois. Pour fonctionner en attendant de se rappeler à partir de quoi tout ça fonctionne, fait de la vie, de l'humanité. Pour dire où on en est, on regarde des combats totalement artificiels avec peur, excitation, sidération parfois devant l'écran, tout en sachant pertinemment que tout ça est artificiel, mais sans cesser d'être émus. En gardant cependant une petite distance pour pouvoir noter les coins où l'artificiel ne fait pas assez artifice pour être bien réel. Le vide n'est pas transparent, il est trouble, ce qui n'évacue nullement l'impression de tomber.
Tomber égale fuir vers l'avant à une vitesse croissante. Des milliards de vies, de mondes, se croisent, foncent sur leur bateau-fantôme, sans même imaginer qu'ils sont de la même marque que celui de devant ou de derrière. « Je est un autre », c'est une facilité d'écriture, aujourd'hui. Une faiblesse romantique. Se raccrocher à quelque chose. A quelque chose qui tombe ça ne dure qu'un temps, dira-t-on. Eh non, la chute promet de durer, aussi subjectivement longtemps qu'elle est opaque.
Je continue à écrire pour mettre des balises, des indicateurs de profondeur, plutôt des lumières. Je ne vois pas ce qu'elles éclairent, mais je vois leur lumière, ça me réchauffe. Je tombe mais j'existe. Bounan évoquait, dans La folle histoire du monde, je crois, un malade, certains malades qui se sentent mal au point de ne pas pouvoir dire, montrer ce mal, localiser un endroit, une souffrance. Je ne sais pas, disent-ils, j'ai mal, docteur.
Quelque chose est parti, on le sait. Quelque chose s'est enfui de la littérature, et tout est désolé, comme dirait le mensonge romantique. Enfin, dans la littérature...Tout le monde aura complété. C'est pas si triste, non. Il y a toujours de beaux et bons livres. On attend, on croit, on lit et puis rien. Ce qui s'en va est innommable. Assurément, c'est entre les mots. Ces mots se tiennent tellement bien, ils sont tellement professionnels qu'on sent tout de suite qu'ils ne se font pas confiance pour ouvrir leurs portes. Ils ont leur raison, comme les auteurs. Fatigués, usés, ils s'éloignent à leur manière. On déchiffre leurs signes, mais on ne distingue plus leur sens. Même chez ceux qui sont animés des meilleures intentions, on trouve une distance, une corruption de l'élan. Je ne parle pas d'humour, d'ironie, de sarcasme, ou d'incendies bien brûlants, mais d'une sorte de doute comme un crépi mal fait, impeccable en apparence mais trop impeccable. Un point de corruption, à peine, dans l'épaisseur apparente, dans la consistance du ciment, tout est bientôt par terre. On sent, on sait, et on est d'autant plus énervé par cette espèce de duplicité. Involontaire, sans nul doute, c'est bien ça le pire.
Enfin, on sait. Justement non, là est le trouble. On n'est pas même pas sûr. Je ne suis même pas sûr. D'ailleurs, ceux qui me lisent doivent se dire, à voix basse, mais de quoi parle-t-il, enfin ? J'ai lu le dernier Le, le dernier Mat, j'ai lu un interview de Ke, tout cela est furieusement présent, la littérature est là, rien à foutre des apôtres de la déréliction !
Je ne sais pas si mon fort intérieur est d'une solidité normale, si ma vie est convenablement vieillissante, c'est pas le sujet. Je ne parle pas de mes décrépitudes et constipations. Je parle de littérature, comment la rosée s'en est enfuie. Pardon.
Je ne lis pas dans l'ordre chronologique des ventes. Mes antennes diffuses me ramènent régulièrement aux parutions dernières, au dernier auteur dont on parle d'importance. Je lis un peu, je feuillette, je renifle, je capte de l'écriture, je cherche du parfum, un parfum qui serait entre puanteur intime et senteurs du monde. Et je crois avoir trouvé, puis je ne crois plus. Je parle du roman, ou de ce qu'on appelle plus ou moins récit, aujourd'hui, de la chose qui raconterait des histoires entrevoûtés dans le meilleur des cas (cf Volodine).
Je m’arrête pour aujourd'hui. Bonne lecture...
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