• Déjà-vu

    Déjà-vu

     

    Déjà-vulle m'amène au Rex et nous voyons « La-bas, sur le quai des nuages ». Bon film, hein, la scène du terroriste qui aimait Rimbaud m'a vraiment angoissé et le chien qui bouge une oreille pour indiquer la direction c'est, absolument, tu as remarqué les couleurs délavées des décors, presque, je dis presque métaphysique le gimmick, tu sais les trois notes, d'accord, c'était grinçant mais bon, et on rentre doucement en marchant d'un même pas.


    J'ai bien aimé ce film, et Julie aussi. On le sent dans l'air qui nous entoure, dans le rythme fluide de nos jambes, dans ce ballet souple des mains qui ponctue nos échanges, prélude à la valse humide de nos deux corps. Son regard vient, s'en va, revient vers mon sourire qui se prélasse tandis que mes yeux ne la lâchent pas. J'ai déjà vu ce film, je l'aime mais je l'ai déjà vu. Julie observe une vitrine, son visage a filé dans l'ombre sans prévenir. Je sais, je ne dis pas, je dirai rien, je t'aime.

     

     

    Je l'ai accompagnée au Gaumont, l'autre jour, en fin d'après-midi, je n'étais pas de service clientèle au Mc, elle voulait voir ce film pour la liberté un peu Nouvelle Vague qui émane du scénario. Elle parle comme ça Julie. Je n'ai pas dit qu'elle attendait de comparer ses petits seins avec ceux de Nicole Kidman. Elle est sortie avec une espèce de sourire nuageux, Nicole Kidman avait perdu ce match-là. Alors, je dirais huit pour le crépuscule final, ça angoisse à mort. C'est le cas de le dire, on a rit, on a rit cette fois aussi, c'est vrai. Bien, mais j'ai déjà vu le film. Aucun film n'a assez de lumière pour t'éclipser je le lui ai dit, on a commencé à ne plus marcher tellement droit. Mais j'ai déjà vu ce film. Je me demandais pourquoi ma bouche s'était encore laissé aller qu'elle pleurait déjà.

     

     

    On a tenté de ne plus allé au ciné. Un soir, on s'était couché de bonne heure. Julie était invitée par sa boite à nettoyer les piaules d'un Formule 1 à partir de 5h du matin, ce qui laissait peu de marge pour aller voir un film. On avait fait l'amour rapidement, comme si elle devait déjà se lever. On était stockés dans le lit comme des sardines, tournés vers le plafond, chacun d'un côté. Sa voix était plutôt résignée, presque neutre quand elle m'a dit « On devrait essayer de supprimer le cinéma...Tu ne crois pas ? » Je regardais la peinture toute blanche imperceptiblement cloquée par endroits. Je me suis tourné vers elle. Elle avait les yeux fermés et une joue un peu humide. J'ai posé un baiser à cet endroit-là et j'ai dit « d'accord », en évitant d'un poil la voix de Brando dans le Parrain II. J'ai répété « D'accord », plus normalement je crois. Elle m'a soufflé « Ça va aller ». Je l'ai serrée contre moi, contracté par l'émotion qui chassait toutes les images de ma tête.

     

     

    Il fallait juste tenir. On regardait les murs, les pelouses, le palier, l'entrée, puis les meubles rallier la réalité. C'était juste un challenge de ne pas parler, de répondre « Bonjour »à la voisine, sans remarquer son bonnet de concierge collector film années 30, avec Pierre Fresnay dont nous ne trouvions pas l'égal dans la génération post-moderne du cinéma caméra à l'épaule.
    Il pleuvait très régulièrement cette semaine-là. Notre journée de travail finie nous quittions les Temps Modernes pour réintégrer le quotidien et nous nous installions à la fenêtre. Spontanément nous était venue cette habitude. La pluie était très régulière et froide. La mousson s'arrêterait vers 21h. Je savais qu'il n'y aurait pas de sikh ou d'amant, ni de mangeur d'homme pour surgir entre les lignes d'eau.

     

     

    Julie m'a demandé si j'avais envie, je n'ai rien dit. Elle a ôté sa chemise, puis son body lentement, très lentement. Une lumière venait au sein de la pluie. Un arc-en-ciel se préparait. Elle a roulé contre moi, si doucement. Je savais qu'il n'y avait pas assez de lumière pour nous, mais son regard me défiait. Alors, je n'ai rien dit.

     

     

     

    Juin 2014

     


  • Commentaires

    1
    Lundi 9 Juin 2014 à 11:41

    La lumière, le goût de la vie dans l'amour seul, sans les cinephiles préliminaires. Attacher les deux est original comme idée de nouvelle. Je me demande avec qui il a déjà vu ce film et s'il représentait déjà un préambule.

    2
    Lundi 9 Juin 2014 à 13:43

    Je ne crois pas Carmen, on est plutôt dans le symbolique. Le film de la vie déjà-vu, nos vies comme un film ininterrompu.

     

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