-
Couper les têtes
L'élection quasi-dérisoire du produit marketing Macron met en cause le vote. Un grave détournement est à l’œuvre, s'incarne et s'amplifie par chaque vote loin des conditions d'indépendance et de lucidité minimales. Il porte un nom : l'image. Image au sens de production iconique destinée à fasciner, détourner de la réalité.
On peut aussi l'appeler personnalisation. Ce cancer dénature la citoyenneté, la subjugue pour des intérêts particuliers. En tant que citoyen lambda, et comme chacun peut le faire, je propose quelques éléments pour revenir à un vote citoyen, à une République qui ne soit pas le jouet des riches, des politiciens sur une scène stratosphérique.l y aurait sans doute une thèse à faire sur la construction de cette personnalisation systématique d'une élection politique, - et peut-être est-ce déjà fait.. - depuis les premiers mags qui pariaient sur la personne plutôt que sur les faits, puis Paris-Match et maintenant une vague générale de personnalisation dont les tenants avoués, les magazines people, sont même devenus une part minoritaire.
Qu'est-ce que la personnalisation ? C'est avant tout un pari que l'apparence correspond à l'essence, que la tête de quelqu'un est tout un programme. C'est le canal par lequel s'investissent les attentes, les espoirs et les rejets plus ou moins instinctifs. Chacun peut ensuite affiner ses sensations avec les postures, les attitudes et quelques petites phrases, outils textuels de personnalisation. Chirac aime les pommes, Sarkozy a dit à un marin-pêcheur « descend, si t'es un homme », Macron a séparé les gens entre « ceux qui réussissent » et « ceux qui ne sont rien »...Chaque jour, chaque heure alimente ce réservoir à fantasmes, à jugements anthropologiques. On est dans un appel permanent à un jugement sur la personne « humaine », du moins celle que nous présente la scène générale où évoluent maintenant ceux qui nous gouvernent.
Les ressorts sont anciens, on fait appel à un très vieux fond de sensibilité, de psychologie intuitive et de distractions. On est à la fois dans Psychologie mag et les jeux du cirque de Rome. Si tout cela restait une distraction, une facette consultable et oubliable pendant une bonne partie de la journée, ce ne serait que moindre mal. Mais aujourd'hui, l'hyper-réalité, versant médiatique, étend sa présence, son emprise. Les adultes passent deux fois plus de temps sur les écrans qu'il y a seulement dix ans. Le mode « personnalisation » est le fond commun de toute émission, qu'elle soit divertissante ou informative. L'anglicisme « Infotainment » est un mot-valise [contraction de information (« information ») et entertainment (« divertissement ») ] utilisé pour qualifier la dominante ludique, affective, recoupant globalement l'univers de la personnalisation, dominante même dans les émissions d'information.
Mais les élections, le choix citoyen ne gagne rien à être dans une dominante affective. Si on règle tout par l'affectif par ce qu'on perçoit et sent autour de soi, on continue à vouloir brûler Galilée, on reste avec la physique de Newton, on vit dans un monde de fées et de démons, on pense que Macron sera meilleur que Marine le Pen parce qu'il paraît plus jeune, plus beau, plus sûr de lui.
Il faut rompre avec cette tendance. Sortir du paradigme du faciès, du glamour, de l'empathie ou du rejet « iconique ». Elle ouvre la porte à tous les conservatismes fallacieux et les castings de dupes. Quel meilleur exemple que les dernières élections présidentielles. Emmanuel Macron a investi tous les écrans d'une image de lui soigneusement calibrée pour exalter un profil aventureux, de rupture, et proposé un programme seulement quelques semaines avant l'élection, quand il a senti que les populations étaient "collées" à sa posture, son image délaissant la « vieille politique » dans le passé. Il fallait pourtant prendre au mot « vieille », même s'il a joué à fond la carte du jeunisme. A peine élu, il a marché en plein dans ces vieilles ornières, dénoncées la veille, en conservant, puis accentuant le projet libéral porté par Sarkozy puis Hollande.
L'élection devra se faire sur des programmes, avant tout, sur ce qui reste quand la lumière de l'hyper-réalité s'est affadie.
Préliminaire global. Toute personne se déclarant candidat à l'élection présidentielle – et pourquoi pas aux autres – devra renoncer à des prestations médiatiques multipliées par les sommes d'argent récoltées, selon des moyens plus ou moins légaux. D'une part pour mettre l'accent sur le programme, d'autre part pour faire baisser drastiquement l'argent investi dans les campagnes.Pistes de réformes :
-
mettre en place une campagne où chaque candidat disposera d'une même somme d'argent globale d'argent public, qu'il ne pourra dépasser ;
-
limiter le temps d'antenne de chaque candidat à un volume d'heures global et identique pour chacun des candidats, tous médias audio-visuels confondus ;
-
le temps d'antenne devra être occupé par la présentation des programmes ;
-
la présentation des programmes se fera en limitant le temps d'apparition des présentateurs/trices à un 1/10ème du temps imparti à chaque émission – les 9/10ème du temps de chaque émission sera commenté en voix-off ;
-
les présentateurs/trices des émissions ne pourront être les candidats, mais des militants, assistants, ou experts extérieurs en nombre limité ;
-
le volume d'heure global d'antenne sur les médias de portée nationale et locale ne pourra excéder un 10ème du volume global de temps imparti à chaque candidat ;
-
le volume d'heure global de présentation des programmes sera, pour les 9/10ème, utilisé sur Internet ;
-
l’État et les collectivités locales mettront en place, préliminairement à toute élection, un plan d'équipement des foyers ne disposant pas d'ordinateur et de connexion au Net, financé pour moité par les opérateur du Net et pour moitié par une taxe spéciale "démocratie" demandée aux opérateurs institutionnels de la Bourse ;
-
les médias « papier » devront accorder un volume de pages fixe pour la présentation des programmes de chaque candidat, à leur guise sur une période définie, ne pouvant excéder un mois et avant le(s) vote(s) ;
-
…
Ce texte n'est pas un exercice de style mais l'exemple d'une tentative citoyenne pour penser, s'approprier, penser et s'approprier le devenir d'un secteur essentiel de la société. Il ressemble, dans la démarche, aux ateliers "constitution" d'Etienne Chouard. Je mets par écrit ce que je veux et les modalités pour le réaliser. Ce qui me permet de voir mieux ce que je souhaite, de faire travailler ma lucidité et mon indépendance. Egalement de me prouver à moi-même que je peux faire, que je ne suis si bête, que je n'ai pas à déléguer à quelque type sorti d'une grande école. Lequel viendrait m'expliquer, plus tard, qu'il a fait exactement le contraire de ce que j'attendais pour mon bien, ce que je ne réalise pas parce qu'il n'a pas encore fait assez de pédagogie...
La maîtrise du vote nous échappe, aujourd'hui,de plus en plus. Ce, par l'action délibérée de politiques dévoyés. Chacun peut et doit penser aux structures médiatiques et autres, sortir de cette torpeur moutonnière qu'entretient le Marché et les politiques à sa solde.A chacun, donc, de creuser les modalités et de les améliorer pour définir des campagnes fonctionnant selon le principes d'égalité des idées portées par chaque candidat, a priori. Je ne vois en quoi les idées d'un Poutou, d'un Dupont-Aignan serait quatre fois, dix fois inférieures en valeur, à celle d'un Macron ou d'un Melenchon, parce qu'ils ont eu quatre ou dix fois moins de voix. Le principe d'équité, valorisé dans les médias actuels, sera abandonné, car porteur d'une reconduction tacite des hiérarchies partisanes, politiques existantes. Donc, profondément conservateur, dans un monde qui meurt du conservatisme obstinée d'une minorité si convaincu de sa supériorité qu'on frôle l'eugénisme intellectuel.
Ce sera/serait une sorte de reset généralisé des modalités de vote, pour rétablir le principe d'égalité citoyenne et diminuer drastiquement la personnalisation. Cette remise à zéro fera s'effondrer aussi le coût prohibitifs des campagnes, et le biais corrélatif immense qu'apportent des moyens financiers tout à fait incomparables d'un candidat à l'autre dans les campagnes actuelles.
L'accusation potentielle de « soviétisme », inévitablement lancée par les politiciens professionnels, les corrompus et les quelques vrais fanatiques de la « liberté » du Marché (au dépend des humains), sera rendue inopérante par une proposition de validation de ces réformes par referendum. De même, toute liberté de commentaire critique étant laissé, par définition, aux citoyens, sur le Net, ou ailleurs, chacun pourra développer son sentiment, ses priorités, ses refus autour des campagnes nouvellement constituées.
Tout cette dynamique neuve, ce cadre ample d'action transformatrice ne pourra grandir et se réaliser qu'en changeant fondamentalement la donne. Il faudra donc, d'abord, que les français arrivent à retrouver un minimum d'indépendance intellectuelle pour élire un gouvernement progressiste, d'abord. Un grand mouvement populaire, une descente massive dans les rues provoquerait un électrochoc salutaire, sans doute, ranimant le vivre-ensemble.
L'obstination du staff Macron à refaire du vieux, en l'accentuant jusqu'à la caricature de la pensée patronale la plus abjecte – ponction sur les handicapés, les vieux, les malades, destruction de l'Hopital Public, asphyxie des EPHAD...- va les aider considérablement.Un gouvernement progressiste devra immédiatement s'attaquer aux médias actuels en remettant en cause toutes les autorisations d'émettre. Pour préserver, justement, la liberté d'informer, et plus, la responsabilité citoyenne, les valeurs républicaines. Elles sont gravement endommagées aujourd'hui, par des politiciens dont le « professionnalisme » est un gage certain d'échec et d'éloignement des volontés du peuple, sans parler de leur inclination à se gaver dés leur arrivée en poste. Et, au quotidien, par ces médias de caniveau et/ou de Marché qui pullulent dans l'audio-visuel comme dans la Presse papier.
Tout n'est pas perdu, tout reste possible. Les élections européennes nous conduisent à participer à un ensemble fondamentalement dictatorial, compliqué et au service général des intérêts du capitalisme US, avec qui l'UE tente toujours de signer les pire accords. Il n'empêche que leur déroulement, pour ne parler que de ce sujet, se fait avec peu de personnalisation. C'est donc possible.
Et c'est même tout à fait souhaitable, si l'on prend l'exemple du referendum de 2005, sur l'UE, justement.
Il portait sur un texte long et aride, dont des associations, puis de petits groupes de français lambdas se sont emparés. Les petits groupes ont fini par contaminer à peu près tout le territoire. La France des villes et des campagnes s'est saisie tout entière de son avenir. Les français lambdas l'ont disséqué, commenté avec obstination, rigueur et même enthousiasme, pour arriver à un vote des plus lucides qu'on ait vu et une victoire du NON, alors que 99% des médias dénigraient ses tenants, montrant ainsi leur mépris et l'esprit de leurs maîtres.
Tout est possible encore. L'esprit de 2005 n'est pas mort et c'est ce qui fait peur à la Macronie et autres LR, à tous les politicien(ne)s de profession. Les français ont toujours adoré lancer un « merde » retentissant à ceux qui les prennent de haut et leur confisquent leur avenir "pour leur bien".
-
-
Commentaires
Merci, Lieven...Si on désespère complètement, il nyy a plus qu'à se poser dans un cercueil et refermer...
Ajouter un commentaire
Merci pour cette analyse, les actions qu'elle préconise. Enfin quelqu'un qui ne désespère pas.