• C2J18 - chronique du 2ème confinement - jour 18

     

    Écrits au jour le jour s'échappant vers la fiction, dans l'espace-temps du reconfinement...

     

     

    C2J18 - chronique du 2ème confinement - jour 18

     

    Nous cachons nos visages comme si c'était une faute, aujourd'hui, d'être humain. Phrase enregistrée à 22h45, hier soir.

    Il est 8h40, je descends la rue Barbusse, longe un gros bus jaune de Thau Agglo qui attend qu'une voiture mal garée veuillent lui permettre de remonter vers la Caraussane. Le chauffeur ne bouge pas plus que les passagers derrière la vitre, statufiés dans l'ambre pour un voyage sans date de retour.

     

    La rue me mènera au canal si je ne tourne pas avant. Je croise quelques chiens tirant leurs maîtres vers les plus puissantes odeurs. Ils ont l'air content, les chiens. La ville est moins saturée de fumée et les maîtres occupés à fixer les autres bipèdes qui passent. En quête, sans doute, d'une indication sur ce qu'il convient de faire. Mais à propos de quoi ? Etonnant. Les autorités imposent urbi et orbi un si grand nombre de consignes que pas un mètre carré de la vie sociale n'est laissé au bon vouloir des survivants.

    Je tourne au coin de la pharmacie, longe la place du kiosque. Il y a peu de bruit, peu de monde sur la place elle-même. Ou plutôt des sons discontinus, contrairement au bruit permanent de la ville en régime d'activité normale.

    Passent des voyageurs, avec leurs sac à dos à roulettes, visages masqués de bleu, les yeux fixés sur l'avant, comme si la rue menaçait de s'écrouler subitement. C'est presque le cas. L'appendice sur leurs visages aspire l'attention. Il dissout tout ce qu'il y a autour, le renvoie à une naturalité obsolète. La ville devient un décor passé qui occulte de moins en moins des espaces tout autres qui en feront un camp expérimental pour humains expérimentaux. Les nouveaux citadins de l'espace sanitaire total, dont l'architecture et l'avenir ne relèvent en aucun cas de l'urbanisme. Je m'attends presque à voir débouler des SUV de l'ONU.

     

    Passe devant le cabinet d'un médecin, une doctoresse. La porte est grande ouverte sur la salle d'attente vide. Sur la vitre opaque qui sert de mur est affichée le sésame qui explique la salle d'attent déserte. Les mêmes dessins obsessionnellement placardés partout, avec les légendes qui les accompagnent, comme s'il y avait encore besoin d'explication. Comme s'il y avait nécessité de forer encore et encore les esprits, après presque un an dans l'ère du premier virus qui a frappé le monde. Avec un retentissement bien plus fort que n'importe quel nine eleven.

    Sans doute, finalement, y a-t-il besoin de répétitions. Ne serait-ce que pour maintenir les populations en ordre, elles qui subissent la maladie invisible, comme dernier avatar d'une crise totale de l'édifice sociétal que n'ont ni empêché, ni même tenté de limiter les affamés qui se sont successivement hissés sur la plus haute marche de l'espèce de firme nommée État. Depuis près de cinquante ans.

    L'écrit sous et autour des dessins façon prévention routière est pure forme d'autorité. En plein milieu de cette énième photocopie de l'avis national, de grosses lettres au feutre noir. F.O.

    Un syndicat me vient à l'esprit, avant que je ne réalise.

     

    De l'autre côté de la rue, pile face au sas de la doctoresse, des gens patientent, plus ou moins masqués. La distance proximale a changé, mélange nouveau d'intimité et de victorien ukase d'un de ces hauts fonctionnaires de la déroute qu'on appelle aujourd'hui, par antiphrase, État de droit. Un mètre entre nous. Mais en quelle unité peut-on mesurer la distance entre deux espèces, je pense à celle qui dicte et celle qui est dictée. Relèvent-t-elles d'une parenté commune ? Faire encore société implique de s'engager réellement sur cette question.

     

    Donc, salle d'attente sur le trottoir, c'est original. Le médecin a fait littéralement reculer le moment de se confronter à la menace. La salle d'attente réelle est devenue sas. Je m'éloigne, mal à l'aise. Le sas, les gens plantés sur le trottoir comme des SDF avec carte Vitale, la régulation affichée qui ne régule rien. Bien des directions que nous empruntons bon gré, mal gré, nous échappent.


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